Interview voyageur : voyager en étant malvoyant, pour soi, et pour les enfants. Le récit de Guillaume

Guillaume est un jeune trentenaire, qui a quitté la France et son emploi de consultant en ingénierie culturelle pour aller voir le monde. Guillaume est malvoyant ; mais voyager avec un handicap visuel n’est clairement pas un frein à ses envies de découvertes, au contraire ! Guillaume a mis en place un partenariat avec une école, afin de permettre aux enfants de vivre un petit peu de son voyage. Comme il le dit lui-même : le partage et ce besoin de transmettre ses connaissances rythment chacune de ses actions. Son blog et sa chaîne YouTube sont une véritable fraîcheur dans le monde du web.

L’itinéraire choisi avec Guillaume est le suivant : Nice – Bangkok // Jakarta – Cairns // Sydney – Santiago // New York – Marseille. Il a également ajouté quelques vols supplémentaires de son côté pour compléter son itinéraire : un low cost Hanoi-Florès, un aller-retour vers l’Île de Pâques, et peut-être une traversée en bateau dans les Caraïbes. Pour le reste, Guillaume privilégie le voyage par la route.

Bonjour Guillaume ! À quoi ressemblait ta vie avant de partir en voyage ?
En France, j’étais consultant en ingénierie culturelle. J’accompagnais les musées à se rendre accessibles aux personnes en situation de handicap (faire comprendre un tableau à un aveugle, la musique à un sourd, ou simplement permettre à une personne en fauteuil de rentrer dans le musée !). Avant cela, j’avais fait des études pour devenir professeur d’Histoire-géographie. Même si de prime abord cela n’a pas grand chose à voir, le lien est pour moi : le partage. Tout ce que j’entreprends, je le fais avec la volonté de le partager avec les autres. Que ce soit dans mon métier en tentant de permettre aux personnes en situation de handicap de bénéficier des offres culturelles au même titre que tout le monde, ou dans la vie pour une exposition, une musique ou dans le sport. J’aime beaucoup travailler avec les enfants. Mon professeur de CE2 (ça remonte !) m’a transmis ce besoin de rester curieux et de questionner le monde. Aujourd’hui, c’est ce que je fais. Je questionne le monde pour donner un nouveau regard aux enfants.

Qu’est-ce qui t’a amené à entreprendre ce tour du monde ?
J’avais l’impression d’être à un tournant professionnel et personnel. La crise de la trentaine, quoi ! J’étais frustré de ne pas avoir assez voyagé et me disais que le temps avançant, partir seul avec juste mon petit sac sur le dos allait devenir compliqué. Je voulais donc prendre une année pour assouvir ce besoin d’ailleurs. Mais cela ne m’intéressait pas de le faire juste pour poster mes pieds à la plage sur Instagram. Partager ce tour du monde avec des écoles était une évidence pour moi. C’est ainsi que de la rentrée 2017-2018 jusqu’à mon départ, j’ai commencé à intervenir tous les vendredis dans une école primaire, et une à deux fois par mois dans un collège. Le projet était né. Les enfants et moi inventerions la « Géofabulerie ». C’est-à-dire l’étude de la géographie de manière ludique et créative.

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici à Ha Giang (Vietnam)
Capucine est polyhandicapée. Elle devrait être dans la classe de CE1-CE2 qui porte ce projet avec Guillaume. Pour montrer qu’ils ne l’oublient pas, la classe (et Guillaume) ont ensemble dessiné ce drapeau qu’il présente dans tous les plus beaux endroits qu’il visite. Ainsi, elle voyage elle aussi un peu avec lui ! (Ici dans la province de Ha Giang, dans le nord du Vietnam).

Par quels pays passes-tu exactement ?
J’ai commencé par la Thailande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam. Aujourd’hui je suis en Indonésie. Je vais ensuite en Australie, au Chili, en Bolivie, en Colombie, au Costa Rica ou au Nicaragua avant de finir mon périple aux USA. Un mois par pays, avec pour mission de faire découvrir des curiosités aux enfants, tout en nourrissant leurs programmes scolaires.

Quel type de voyageur es-tu ?
Je ne sais pas vraiment. Un débat qui revient souvent entre voyageurs est de se différencier du « touriste ». J’aime beaucoup une citation de Julien Blanc-Gras dans son roman « Touriste » justement : « Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas si exigeant. Touriste, ça me suffit. Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en prime. Il prend le temps d’être futile. De s’adonner à des activités non productives mais enrichissantes. Le monde est sa maison. Chaque ville, une victoire ».

Cette définition me convient parfaitement !

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici sur l'île de Cham (Vietnam)
Sur l’île de Cham, au large d’Hoi An, au Vietnam

Tu voyages avec un handicap, peux-tu nous en dire plus ?
Je suis en effet malvoyant. Je suis porteur de la maladie de Stargardt. C’est à dire que ma vision centrale (la précision) n’est pas des masses efficace. On a détecté ça alors que j’avais 15 ans. J’ai donc eu le temps de me faire à cette nouvelle vue et de trouver les parades pour obtenir les informations nécessaires à mes déplacements. Cela me permet d’aller vers les autres et donc de faire des rencontres. Par exemple, dans le nord du Vietnam, dans la province d’Ha Giang pour être précis, je ne voulais pas que ma situation m’empêche de faire une boucle que les voyageurs font habituellement en moto. J’ai pris mon courage à deux mains et suis parti sans vraiment savoir si je devrais rebrousser chemin ou non. Dès le second jour, Bernard et Marie, un couple de jeunes retraités que j’ai rencontrés dans un bus, m’ont proposés de partager un moment de leur voyage. Ainsi j’ai pu faire ma boucle, découvrir des paysages parmi les plus fous que j’ai pu voir, et rencontrer des gens fantastiques !

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici sur l'île de Komodo (Indonésie)
Avec les dragons de Komodo, en Indonésie

Ton handicap t’a-t-il amené à préparer ton voyage différemment ?
Comme ça, j’ai envie de dire non, mais inconsciemment je pense m’être inspiré de voyageurs auxquels je pouvais m’identifier. Par exemple, je me suis fait conseiller par une famille qui venait de boucler un tour du monde avec un enfant en bas âge. Leur rythme de voyage devait correspondre à celui que je comptais mener. Je pensais également que le fait de ne pas pouvoir être autonome dans mes déplacements allait me poser problème à un moment ou à un autre mais je dois avouer qu’aujourd’hui, même si je pouvais le faire, je ne changerais pas ma façon de voyager. On rencontre tellement de monde dans les transports en commun !

Sur le terrain quelles sont tes techniques pour pallier ton handicap visuel ?
Les mêmes qu’en France à vrai dire. Aujourd’hui, les GPS piétons font le travail pour s’orienter dans les villes et mon principal problème est de ne pas pouvoir lire les informations dans les gares. Je sors donc mon plus beau sourire et vais demander aux gens avec mon anglais hésitant s’il veulent bien m’accompagner jusqu’à mon bus ou mon train. Les gens acceptent à chaque fois et cela me permet parfois de trouver un camarade avec qui discuter en attendant.

Je vais beaucoup dans les musées, et là, c’est une autre histoire, par contre. Tous ne disposent pas d’audio-guides et je ressors de certains musées sans avoir pu comprendre la moindre chose…

Avais-tu déjà beaucoup voyagé avant d’entreprendre ce périple ?
Je ne voyageais pas tant que ça avant (d’ou ce besoin de partir un an). Je pratiquais plutôt ce que l’on appelle le tourisme culturel, urbain. J’allais passer quelques jours dans une grande ville en Europe, souvent avec des amis. J’ai également pu aller à San Francisco pendant un peu plus de 2 mois en 2014. C’était dans une école afin de combler mes lacunes en anglais. J’en avais profité pour arpenter la Californie.

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici à dans la Baie d'Halong terrestre (Vietnam)
Dans la Baie d’Halong terrestre, au Vietnam

Avais-tu des appréhensions avant de partir ?
Bizarrement non. Je crois que le fait de mener ce projet avec les enfants m’a permis de réaliser quelques jours avant mon départ seulement, que j’allais partir pendant un an ! Mon parcours était bouclé, vous m’avez permis – chez Zip World – de rapidement ne plus me soucier de mes réservations d’avions, et les enfants étaient tellement excités lorsque l’on parlait voyage que cela m’a gonflé à bloc !

En voyage, trouves-tu la réalité plus difficile que ce que tu aurais imaginé, ou au contraire ?
Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre. J’avais quelques appréhensions au niveau de mon anglais mais de toute manière, en Asie, sorti des grandes villes, l’anglais n’est plus du tout indispensable ! Mon parlé du sud avec les mains m’est bien plus utile !

En ce qui concerne les déplacements, la Thailande est tellement bien organisée que je n’ai eu aucun problème. Cela m’a permis, petit à petit, de prendre confiance. Depuis, je n’ai plus aucune appréhension. Je hèle les bus, fais du stop, et j’ai surtout compris qu’à tout problème, il existe une solution !

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici à Angkor (Cambodge)
Les temples d’Angkor, au Cambodge

Tu es sur les routes depuis plusieurs semaines ; à ce jour, quel(s) est/sont tes plus beaux souvenirs ?
Le Laos ! J’ai adoré ce pays. Les gens y sont très accueillant et ont toujours le sourire !

Le Cambodge m’a beaucoup ému. Pour les collégiens, qui ont les régimes totalitaires au programme, j’ai fait un dossier sur les Khmers rouges. La blessure de ce pays est encore bien palpable… Pourtant les gens sont souriants et les enfants ont une telle joie de vivre.

Enfin, pour les paysages, la province d’Ha Giang au nord du Vietnam m’a littéralement coupé le souffle. C’est une alternative à ceux qui veulent échapper au développement touristique de Sapa. On slalome entre les montagnes, on peut rencontrer différentes ethnies qui viennent faire leur marché (à Dong Van notamment) et la province a gardé toute son authenticité. Ils sont en train de faire de belles routes. Je pense que d’ici quelques années, la boucle sera sur la « to do list » de qui viendra au Vietnam, alors dépêchez vous d’y aller tant qu’il est encore temps !

Avec le recul, aurais-tu préparé/organisé ton voyage différemment ?
J’ai organisé mon sac en me disant que je voulais voyager le plus léger possible. Aujourd’hui, je suis ravi de ce choix mais j’avais pris un sac en bandoulière pour mes visites à la journée. Si j’avais dû mieux préparer mon paquetage, je n’aurais pas négligé l’achat d‘un petit sac de 15-20L robuste de randonnée ! Mais je me dis que si c’est le seul point que j’aurais changé, c’est que je m’en suis pas si mal sorti, finalement !

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici au large de Komodo (Indonésie)
En Indonésie

Qu’attends-tu de ce voyage ?
Ce voyage me permet de partager avec les enfants des tas d’aventures. À titre personnel, depuis quelque temps, je pense à mon avenir, et la joie que me procure ce projet me fait me demander si en rentrant, je ne vais pas revenir à mes premières amours et me tourner vers l’enseignement.

Si tu avais un conseil à donner à une personne porteuse de handicap qui rêve de se lancer dans un voyage comme le tien, quel serait-il ?
Vous pouvez y aller les yeux fermés ! (héhé)

Guillaume voyage avec un handicap visuel : ici lors de l'ascension du Mont Batur (Indonésie)

Le blog de Guillaume : www.guillaume-est-ailleurs.com (Edit : le site a été supprimé depuis l’époque où cet article a été rédigé)
Guillaume a également une chaîne YouTube

Ce contenu a été vérifié et mis à jour le 17 octobre 2023.

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