Une question m’a plusieurs fois été posée avant et pendant ce voyage : « mais, pourquoi le Liban ? » Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu ce type d’interrogation pour mes précédents voyages, ou tout du moins, pas de façon aussi fréquente. De plus, j’ai senti que cette question n’était pas posée pour rompre l’oppressant silence d’un trajet d’ascenseur, mais par véritable curiosité. De réponse, je n’en avais pas. En tout cas, pas différente de celles de mes destinations antérieures, au pire un « parce que j’ai envie de soleil », au mieux un « pourquoi pas? », accompagné d’un haussement d’épaules.
Je ne sais pas pourquoi j’y suis allée mais je sais pourquoi j’y retournerai : pour cette impression de chaos orchestré, pour la beauté et la diversité des paysages, pour la gentillesse des Libanais, leur générosité, leur histoire et leurs histoires, leur nourriture, leur culture… Une réponse prodigieusement banale, me direz-vous, et vous aurez raison. Mais c’est aussi une réponse tendant à normaliser cette destination, trop souvent délaissée par les touristes.
Avant de commencer, je tiens à ce que les choses soient bien claires entre nous : je me rends toujours dans le nord des pays que je visite. Ce n’est pas fait exprès, c’est juste comme ça. Cela ne signifie donc en aucun cas que le sud du Liban est moins intéressant.
Dans la médina de Tripoli (photo : Jess)
Beyrouth
Ce qui interpelle lorsque l’on arrive à Beyrouth, c’est ce patchwork architectural, ce mélange surréaliste et déroutant de tours ultra-modernes et de jolies bâtisses abandonnées. Les travaux sont incessants et les ouvriers semblent plus affairés à faire sortir de nouveaux immeubles de terre qu’à rénover ceux qui existent déjà. On se demande quel sort est réservé à toutes ces belles demeures qui semblent avoir été quittées précipitamment pendant la guerre civile, et laissées en l’état depuis ce jour. Rappelons-le, Beyrouth est une des villes les plus anciennes du monde (premières traces de la ville dans l’Histoire : 14ème siècle avant JC). Malgré les destructions et invasions dont elle a été victime, la ville n’a jamais été désertée par la population. En résulte un patrimoine riche et varié, témoin de la succession des différentes époques (patrimoine ottoman, mandat français…). Bref, autant vous dire que niveau Histoire, c’est chargé.
Beyrouth, l’ancien et le moderne (photo : Paul Saad)
Bien sûr, en raison de leur caractère récent et visible, ce qui frappe le plus, ce sont les vestiges de la guerre civile : bâtiments ravagés et criblés d’impacts de balles sont monnaie courante dans toute la ville, et poussent inévitablement à se pencher sur l’histoire dramatique de cette ville mais aussi de ce pays.
Le gouvernement libanais ne semble pas avoir une politique de sauvegarde du patrimoine très développée, et seule une poignée d’activistes issus des milieux intellectuels se bat pour le préserver. Pire encore, l’argument de la sauvegarde du patrimoine semble avoir été utilisé comme prétexte à des fins mercantiles : suite à la guerre civile, la reconstruction du centre ville est confiée à Rafiq Hariri (premier ministre en poste à l’époque…) et sa multinationale, Solidere. Le centre ville est recréé à l’identique architecturalement parlant, mais perd sa fonction originelle. Ainsi, les souks d’antan ont été remplacés par des enseignes de luxe, les populations et activités traditionnelles ont été balayées, et le centre ville a quelque peu perdu son identité.
Le Palais Sursock, propriété de Lady Sursock, connue pour sa défense de la préservation de bâtiments historiques (photo : Bertil Videt)
Dans d’autres zones, certains bâtiments, faisant partie du patrimoine architectural et qui n’avaient pas été abîmés par la guerre, ont été détruits afin de construire de nouveaux immeubles… Je ne diabolise pas pour autant les constructions de ces dernières années, qui font elles aussi partie du patrimoine de la ville. Les tours modernes sont superbes et contribuent à la spécificité de Beyrouth, ville de contrastes, qui ne semble ni tout à fait orientale, ni tout à fait occidentale.
Et si vous vous demandez pourquoi il y a autant de bâtiments par rapport au nombre d’habitants, sachez que la diaspora libanaise compte entre 5 et 14 millions de personnes à travers le monde (oui, je sais, cela manque de précision), pour un peu plus de 6 millions sur le territoire. Ça fait pas mal de monde à héberger pour les vacances d’été.
On ne va pas se mentir entre les travaux et les voitures, Beyrouth est plutôt bruyante et polluée. Comme pour se faire pardonner, cette ville offre quelques oasis de calme et de verdure, comme par exemple le parc de l’Université américaine. Une balade sur le campus vous fera oublier en moins de temps qu’il ne faut pour le dire les turpitudes de la ville. Je vous conseille de revenir tranquillement par la Corniche, pour vous réhabituer tout en douceur en admirant la mer qui s’étend à perte de vue.
La Corniche El Manara (photo : marviikad)
Si vous voulez prolonger ce moment de calme, tout en vous cultivant, c’est au Musée Sursock qu’il faut se rendre. Ce lieu, outre le fait d’être sublime, propose des expositions d’art moderne et contemporain.
Beyrouth a aussi ses petites astuces pour vous faire oublier la pollution. Rarement mon nez n’aura été sollicité d’aussi charmante façon ; les parfums des fleurs, plantes et autres herbes et épices sont omniprésents… Les Beyrouthins ornent intérieurs et balcons de mille et une plantes, qui transforment totalement la ville. Et c’est appréciable.
Marché à Beyrouth (photo : craigfinlay)
B o n n e s a d r e s s e s . . . à B e y r o u t h :
- Dar Bistro and Books (Quartier Hamra – Le quartier bohèmo-intello-mot en O) : Du bon manger méditerranéen à base de produits issus de leur propre ferme, un jardin, une terrasse, du calme, une librairie… Bienvenue au paradis.
- Charlotte (Quartier Mar Mikhael – LE quartier des fêtards et autres gens de la nuit) : Alors oui, c’est vrai, quand on est au Liban, il faut manger libanais. Mais parfois, un soir, on n’a pas envie. Soyez sans scrupule et rendez vous chez « Charlotte ». Cuisine franco italienne parsemé de touches asiatiques pour le moins exquise, joli décor et service tout sourire.
- Urban Garden Hôtel Hamra : Cet hôtel a ouvert ses portes il y a quelques semaines. Il est flambant neuf et sa piscine sur le toit n’attend plus que vous. Elle me l’a dit.
Byblos
Le Liban est un petit pays, il est très rapide de quitter Beyrouth et de se retrouver dans une atmosphère totalement différente. Après quelques jours à la capitale, nul doute que l’envie de nouveaux paysages se fera sentir. A 1 heure au nord (comme toujours) de Beyrouth, se trouve la toute jolie ville de Byblos. Pour vous y rendre, deux possibilités : un taxi, ou bien un van que vous pourrez prendre à Dora, banlieue située à la sortie de Beyrouth. (Notez que pour aller dans le sud du Liban, il faudra vous rendre à Cola). En arrivant à Dora, vous verrez plusieurs vans, et probablement quelques chauffeurs vous héleront pour vous proposer leurs services. Voici la marche à suivre : indiquez votre destination, demandez le prix, négocier, (pour aller à Byblos, il faut compter 2.000 livres libanaises), puis montez et attachez votre ceinture. Il n’y a pas d’arrêts officiels, le chauffeur vous fera descendre au bord de la route au moment venu.
Il est temps d’évoquer une spécificité libanaise : la conduite anarchique. Il est possible que pendant votre trajet, vous ayez l’impression d’être dans un jeu vidéo. Ne soyez pas surpris si vous voyez quelqu’un doubler n’importe comment, créer sa propre voie, voire rouler en sens inverse.
Enfin vous arrivez à Byblos (Jbeil en arabe), sympathique ville de bord de mer où règnent calme et douceur de vivre. Cette station balnéaire abrite de splendides maisons, et accessoirement des vestiges de la ville antique. Byblos est habitée de manière continue depuis plus de 7.000 ans, ce qui en fait l’une des plus anciennes villes du monde. Je ne sais pas vous, mais moi ça me fait sentir toute petite.
Coucher de soleil sur le port de Byblos (photo : Paul Saad)
B o n n e s a d r e s s e s . . . à B y b l o s :
- Pepe Abed Byblos Fishing Club : Délicieuse cuisine libanaise, vue sur le port, ce restaurant est une institution qui a même compté Johnny Halliday et Jacques Chirac parmi ses clients. Classe.
- L’hôtel de mon père : Attention, ceci est le nom de l’établissement et non pas l’hôtel de mon papa. Situé sur les hauteurs de la ville, cet hôtel est tenu par Thierry, un franco libanais, peu avare d’anecdotes sur le pays et ses habitants. Son équipe et lui sont toujours prêts à rendre service, et l’hôtel est de toute beauté.
Tripoli
Tripoli est une ville traditionnelle qui abrite les souks les plus célèbres du Liban. Flâner dans ses allées vous permettra d’observer les locaux, et même d’avoir l’impression d’en faire partie si vous avez assez d’imagination. En plus, c’est couvert, donc il y fait frais, ce qui n’est pas négligeable en cas de grosse chaleur.
Dans les souks de Tripoli (photo : Charles Roffey)
Se perdre dans les allées des souks, humer les divines senteurs de nourritures, d’herbes, de savons, regarder les appétissants fruits et légumes… Cette balade est une expérience sensorielle riche, qui vous mettra très certainement en appétit. Cela tombe bien, figurez-vous que la ville de Tripoli est très réputée pour ses pâtisseries : baklaoua, mafrouké, knéfé, moghli… Je vous laisse découvrir tout ce qui cache sous ces appellations par vous-même…
La Citadelle Saint-Gilles est située sur une colline à 130 mètres, voilà qui vous permettra d’éliminer les pâtisseries. D’ici, la vue sur la ville est tout simplement spectaculaire.
Vue de Tripoli depuis la Citadelle de Saint-Gilles (photo : Cazz)
B o n n e a d r e s s e . . . à T r i p o l i :
- Pâtisserie Abdul Rahman Hallab&Sons : Une référence en matières de pâtisseries orientales. Délices sucrés en veux-tu en voilà, et grande et agréable terrasse.
La Vallée de la Kadisha
La Vallée de la Kadisha est aussi appelée la Vallée des Saints ou bien encore la Vallée aux mille couvents. Au Moyen Âge, les religieux se sont installés dans cette vallée afin de prier en toute quiétude, donnant ainsi naissance à de nombreux ermitages et monastères, nichés à flanc de collines.
Une journée ou deux au sein de cette vallée constitue selon moi un indispensable si vous visitez le nord du Liban. La nature est sublime (la vallée est d’ailleurs inscrite au patrimoine de l’Unesco), le calme rassérénant et l’histoire de ces ermites, fascinante. Je vous conseille tout particulièrement de visiter le Couvent de Saint-Antoine de Kozhaya (Saint censé redonner la raison à ceux qui l’auraient perdue), notamment pour sa surprenante grotte aux fous : les personnes « possédées » étaient attachées avec des chaînes à l’autel se situant au fond de la grotte ; il se dit que les moines leur lançaient des savates sur la tête en demandant à Satan de bien vouloir quitter le corps de ces pauvres déments… Je ne vous cache pas que se retrouver dans ce lieu donne un peu la chair de cocotte. Surtout quand on regarde les chaînes et qu’on se prend à visualiser ces scènes dignes d’un film d’horreur. Fait plus réjouissant : c’est dans ce couvent que fût installée la première imprimerie du monde arabe.
Le Couvent de Saint-Antoine de Kozhaya (photo : Nathalie Mateos)
Il est possible de dormir au Couvent, ce que je vous recommande plus que chaudement. Une petite retraite spirituelle n’a jamais fait de mal à personne, et ça vous fera certainement le plus grand bien de ne plus entendre votre propre voix.
Au Couvent de Saint-Antoine de Kozhaya (photo : Stéphane Akkaoui)
C’est bien beau tout ça, mais 1000 couvents, ça fait beaucoup sur deux jours. Limitons nous à deux si vous le voulez bien, et parité oblige, ça sera plutôt un monastère cette fois. Le Monastère de Deir Mar Elisha, au sein duquel est né l’ordre maronite libanais, est une invitation à découvrir le quotidien des ermites grâce à un circuit fort intéressant guidé par Yves, un moine français vivant dans l’ermitage…
Vue de la Vallée de la Kadisha (photo : Paul Saad)
La Forêt des Cèdres de Dieu
Hasroun est un petit village, qui n’a rien de particulier à part le fait d’être tout à fait mignon, et d’abriter la maison de Jacqueline. Ce petit bout de femme plein d’énergie, passée maîtresse dans l’art des confitures et de l’hospitalité, loue 2 chambres dans sa propre maison, dans laquelle je vous conseille vivement de séjourner.
Hasroun est aussi un excellent point de départ pour aller faire un tour dans la Forêt des Cèdres de Dieu, l’un des rares sites où pousse encore le Cedrus lebani, l’arbre emblème du pays, qui malheureusement est de moins en moins présent sur le territoire, la forêt libanaise ne représentant plus que 7% du territoire. La Fôret des Cèdres de Dieu ne compte que 375 arbres, mais abrite les plus vieux (3 000 ans pour certains !)
La Forêt des Cèdres de Dieu (photo : cwirtanen)
B o n n e a d r e s s e . . . à H a s r o u n :
- Dar Qadisha (Hasroun) : La maison d’hôtes de Jacqueline, où, très vite vous vous sentirez aussi à l’aise que si vous étiez chez vos grands-parents. Au programme : discussions, rigolades, et petits déjeuners mémorables.
Baalbek
Baalbek abrite un site antique exceptionnel dont les remarquables temples de Bacchus, Venus et Jupiter. Ces derniers sont incroyablement bien conservés ; le détail des gravures et la taille des colonnes et des blocs de pierre laissent sans voix. Certains évoquent l’aide apportée par des géants, voire même des extraterrestres…
Si vous faîtes quelques recherches, vous allez vite vous apercevoir que Baalbek se trouve à 15 kilomètres de la frontière syrienne. Internet est le meilleur endroit du monde pour tomber dans la paranoïa, et finir par prendre la décision de ne pas vous y rendre. Je vous rassure, vous pouvez aller à Baalbek sans plus de précautions que si vous vous rendiez ailleurs. Pas besoin de chauffeur privé, ni de garde du corps, tout se passera très bien, je vous le promets.
Le site de Baalbek (photo : Ahmad Moussaoui)
Il y a toujours des pays qu’on regrette de ne pas avoir fait avant qu’ils soient envahis par les touristes, le Liban en fait partie, de plus, j’ai ouï dire qu’une compagnie low coast allait ouvrir une ligne pour se rendre à Beyrouth courant 2017…Pensez-y, le Liban, c’est maintenant !
Conseils de lecture pour vous imprégner du Liban avant le départ :
- Le jour où Nina Simone a cessé de chanter de Darina Al Joundi et Mohamed Kacimi El Hassani
- Le quatrieme mur de Sorj Chalandon
- Le prophète de Khalil Gibran
Crédit photo à la une : objectivised