Interview voyageuse : Ana, partie en quête de son bonheur

À la veille de ses 30 ans, Ana a décidé de quitter la France, une carrière prometteuse et un certain confort de vie pour aller chercher ce qu’elle ne trouvait définitivement pas dans son quotidien : l’épanouissement et le bonheur. Son besoin de remise en question et d’ouverture au reste du monde l’ont menée à Cuba, au Costa Rica, au Brésil, en Argentine, au Chili, en Bolivie, au Pérou, en Indonésie, aux Philippines, en Thaïlande, en Birmanie et au Népal. Peu de temps avant de rentrer de ce long voyage initiatique, Ana s’est confiée dans cette interview. Une interview touchante par son honnêteté et sa franchise.

Pour son voyage, Ana a choisi avec Zip World l’itinéraire suivant :
Paris – Cancún – San José – Manaus // Punta Arenas – Santiago – Santa Cruz // Lima – Jakarta // Katmandou – Paris. Elle a également ajouté des vols low costs, quelle a acheté de son côté.

Salut Ana ! Peux-tu nous dire qui tu étais avant de partir en voyage ?

Avant de partir en voyage, j’avais ce que l’on appelle « une vie normale ». J’aime pas trop cette expression-là, mais ça définit bien les choses malgré tout. C’est-à-dire que j’avais fait tout ce que la société nous demande de faire, à savoir des longues études, mon entrée dans une grosse boîte et le début d’une grosse carrière… J’étais une lobbyiste, et j’avais l’impression de travailler pour le « Vieux-Monde », j’avais aussi l’impression de ne pas être en accord avec mes valeurs, mais j’étais tellement prise dans cette spirale, cette routine parisienne, que j’avais peur de tout, peur de bouger… Mais finalement, la vie l’a décidé pour moi. En 3 semaines, j’ai été quittée par mon copain et licenciée de mon travail. J’ai d’abord vécu ça comme un immense échec, en me disant que mon monde était en train de s’effondrer. Je me demandais sincèrement ce que j’avais fait pour mériter ça, puis finalement, il ne m’a pas fallu longtemps pour réaliser que j’avais en réalité beaucoup de chance, et que c’était plus un coup du destin qu’autre chose. J’avais de l’argent, j’étais célibataire, libre comme l’air, jeune, c’était donc le moment ou jamais…! En y pensant, si je devais résumer ma réponse à ta question : avant, j’étais quelqu’un de normal et malheureux.

En préparant ton voyage, tu as décidé de créer un blog qui s’appelle « En attendant 30 ans ». Quel était le but de cette démarche ?

Quand j’étais enfant et que je m’imaginais à l’âge de 30 ans – ou même quand j’en avais 20, en fait – je m’imaginais mariée, avec une grosse carrière, une maison, des enfants ; finalement, je m’imaginais avec cette vie que l’on nous décrit dans les films, mais aussi finalement que l’on m’a un peu inculquée chez moi, ainsi qu’à l’école ou dans les bouquins… C’était des normes à respecter, en fait. Sauf que moi, à presque 30 ans, je n’avais presque rien de tout ça. J’ai finalement réalisé que les gens de mon âge autour de moi n’avaient pas nécessairement tout ça, eux non plus ; ils n’avaient pas accès à la propriété, ils n’avaient pas la carrière dont ils rêvaient parce qu’entre temps une crise économique s’était bien installée, et certains étaient pas mal en train de revoir leurs aspirations… Surtout, j’avais l’impression que ceux qui essayaient, comme moi, d’atteindre ce graal « mari-propriété-carrière », n’étaient pas heureux. Je me suis alors dit que ce n’était pas possible qu’à 30 ans on soit si désabusée et qu’on voie cet âge-là comme un cap terrible, un passage définitif vers l’âge adulte. Il y avait forcément, quelque part, des gens qui, à 30 ans, étaient heureux ou bien qui avaient atteint cet espèce d’accomplissement personnel et spirituel que l’on recherche à peu près tous.

Ana dans le petit village de Bhadaure, près de Pokhara, au Népal
Dans le petit village de Bhadaure, Népal

C’est suite à ce constat que j’ai eu envie de rencontrer d’autres trentenaires dans le monde ; est-ce qu’il y a un autre modèle de vie qui est possible ailleurs ? J’ai créé mon blog dans ce but-là. Je me suis d’ailleurs rendue compte au fur et à mesure de mes interviews, que peu importe l’endroit dans le monde, les gens qui avaient eu un accès élevé à l’éducation avaient exactement les mêmes questionnements que moi. Je me suis honnêtement demandé si le bonheur, c’était un privilège de riche ? Et bien je crois que oui, un petit peu. Je ne peux pas vraiment répondre pleinement à la question, ma réflexion est encore en cheminement, j’ai vraiment besoin de recul. Mais je peux affirmer que les gens heureux de 30 ans que j’ai rencontrés, ce sont des gens qui ont choisi d’être en rupture avec leur cadre social. C’était principalement des gens en voyage, ou bien des gens qui ont radicalement changé de vie, qui ont pris des risques, et qui sont en rupture ; j’ai par exemple rencontré une journaliste brésilienne qui a décidé d’ouvrir son auberge de jeunesse, après avoir pris conscience que c’était ça, son rêve. Le journalisme, c’était bien juste pour son image sociale. Elle n’était pas épanouie là-dedans. C’est vrai que parmi les autres personnes que j’ai rencontrées, ceux qui n’avaient pas eu un grand accès à l’éducation étaient généralement déjà mariés, avaient un emploi, et se disaient heureux. Il y avait comme une résignation chez eux.

Est-ce que ça signifie que tu as l’impression que les trentenaires en France ne sont pas heureux ?

Parmi les gens autour de moi, au premier abord, je n’en ai effectivement pas l’impression… Mais je suppose que ça existe. Je le souhaite. C’est surtout un constat qui a été fait parmi les gens de mon entourage et de mon cadre socio-économique. Mais le voyage m’a fait réaliser beaucoup de choses. Ma conception du bonheur a changé. Par exemple, avant mon voyage, je jugeais beaucoup. Quand je voyais la vie de mon amie institutrice, je me disais « oh, quel manque d’ambition, elle ne pourra jamais évoluer dans sa carrière ! ». J’ai tellement changé ma manière de voir les choses depuis que je suis partie… J’ai un parcours universitaire très élitiste, et je prends conscience de tout ça seulement maintenant. Le bonheur, c’est avant tout de savoir où sont tes besoins et de pouvoir y répondre. Si tes exigences et tes besoins sont grands, alors fais cette carrière dont tu rêves, obtiens beaucoup d’argent si tu le souhaites… Mais si à l’inverse, tu n’as pas besoin de tout ça, pourquoi vouloir avoir absolument une grande carrière alors que tout ce dont tu as besoin c’est de vivre à la plage et de voir tes enfants grandir ?

Ana sur la plage de Marimegmeg, aux Philippines
Sur la plage de Marimegmeg, Philippines

Au coeur de ton voyage, tu as un peu abandonné ton blog, que s’est-il passé ?

Au début, je voulais vraiment m’y tenir, je pensais que ça me donnerait une structure et que ça me permettrait de garder un lien avec ce que je sais faire (écrire, analyser…). Je voulais vraiment aussi mener mon projet sur les trentenaires, et puis il y a bien sûr eu une question d’égo, une envie de « se montrer », il faut être honnête. Rapidement, le blog s’est mis à bien marcher. Il y a juste trois articles actuellement et j’ai déjà 1.700 « fans » sur Facebook ! J’ai reçu des tonnes d’e-mails d’inconnus après la publication de mon 3ème article (sur son expérience en Amazonie, NDLR), et là, je me suis sentie bouffée. Je ne vais pas mentir, j’ai senti que si je continuais ce blog, mon voyage allait m’échapper. J’avais rencontré des blogueurs sur la route et je me rendais bien compte qu’ils vivaient leur voyage un petit peu en fonction de leur blog. Je ne voulais vraiment pas ça, j’ai pris conscience que je n’étais pas partie pour ça, je n’étais pas partie pour les autres, j’étais partie avant tout pour moi. Je voulais vivre les expériences pour moi, pour grandir, pour apprendre. J’ai alors vu mon blog comme un frein à ma liberté.

Ce « petit succès » m’a finalement un peu angoissée. Je ne voulais pas trop flatter mon égo, je n’avais pas envie de ça. J’ai mis trois jours à répondre aux e-mails de tous ces inconnus, j’étais vraiment touchée de voir le succès de cet article-là, mais je ne voulais pas qu’à chaque article ce soit la même chose. Je préférais passer une soirée avec des voyageurs rencontrés sur la route, que de passer ma soirée sur mon ordinateur à écrire des e-mails ou à poster des trucs sur mes réseaux sociaux. J’ai donc voulu me laisser un petit mois pour moi, sans écrire sur mon blog. Mais après, je me suis fait voler mon chargeur d’ordi. Je n’en ai pas retrouvé pendant trois semaines, puis j’en ai racheté un de seconde main qui a cramé au bout de trois jours. Ensuite, je suis arrivée en Asie, et là, c’est mon ordi qui m’a lâchée ! J’étais à ce moment-là sur une petite île en Indonésie, donc j’ai forcément mis deux mois avant de pouvoir faire réparer mon ordi. C’était comme un signe. Et au final, c’est bien mieux comme ça. Je crois aussi que j’écris bien mieux avec du recul.

Ana en vélo dans le Désert d'Atacama, au Chili
Dans le désert d’Atacama, Chili

Penses-tu que ton voyage t’a changée ?

Je suis exactement la même : toujours chiante, et avec les mêmes défauts ! En revanche, ma vision du monde et de la vie ont complètement changées. Je n’envisage plus l’avenir de la même manière. L’avenir me faisait très très peur, avant. Aujourd’hui, je n’ai plus de peur. J’ai vu tellement de gens qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, qui ont mille problèmes, qui doivent envoyer de l’argent à leur famille, élever leurs frères et soeurs, et dont le principal souci au quotidien c’est de trouver de quoi bouffer, que je ne peux plus dire que j’ai peur ! Je suis née avec le bon passeport, dans le bon panier, avec les bonnes études, et je sais que je ne serai jamais à la rue. En France, quand tu fais un mauvais choix ou que tu ne prends pas le bon chemin, tu as l’impression que c’est la fin du monde. Mais non ! Ce n’est pas la fin du monde. Si t’as un peu de jugeote et que tu es un peu débrouillard, tu réussiras toujours à t’en sortir. Surtout en étant Français. Ça, j’en suis convaincue.

Ana sur le Salar de Uyuni, en Bolivie
Au Salar d’Uyuni, Bolivie

Comment l’envisages-tu cet avenir, alors ?

Avant, et c’est peut-être ce qui m’empêchait d’avancer, je voyais toujours tout sur du long terme. Ça, c’est fini ! Ma vision aujourd’hui, elle s’arrête à dans quelques mois. Un an maximum ! Actuellement, la seule question quant à l’avenir que je me pose c’est : « De quoi est-ce que j’ai besoin, là maintenant, tout de suite, pour améliorer ma condition ? ». Et c’est clair que quand je vais revenir de voyage, je n’aurai pas envie de rester en France. Il faudra aussi que je refasse de l’argent relativement rapidement car je n’ai plus rien. Je sais maintenant que pour me sentir bien, j’ai besoin d’un environnement ensoleillé, relativement calme, cool, donc j’ai envisagé l’Australie. Mais après pas mal d’hésitations entre l’Espagne et l’Australie, j’ai décidé finalement de me baser à Barcelone. Pour moi l’expatriation est une suite logique mais aussi une nouvelle étape. Je me lance dans la création d’entreprise car c’est pour moi un nouveau challenge, mais ça aurait pu prendre une autre forme : un nouveau voyage, un autre type de travail… J’ai l’impression d’avoir une liberté totale de choix, alors c’est cette voie que j’ai choisi pour le moment mais je me laisse plein de portes ouvertes. Je ne me ferme plus de possibilités. Je sais simplement que le nerf de la guerre pour pouvoir faire ce que je veux, c’est l’argent. Aujourd’hui, j’ai compris que mon accomplissement ne se fera pas dans ma carrière professionnelle. Je n’ai plus du tout envie de carrière. J’ai envie de me sentir bien, comme je me sens actuellement (elle était au moment de l’interview au Myanmar, NDLR). J’ai surtout envie de me sentir en paix avec mes valeurs et mes besoins.

Ana à Tagaytay, aux Philippines
À Tagaytay, Philippines

Pourquoi ne veux-tu pas rester en France ?

Une fois que l’euphorie des retrouvailles sera passée, je sens que si je reste en France, dans cette machine sociale infernale, cette machine à conventions, à politesses, à s’excuser tout le temps, à être fermés, agressifs, à ne pas supporter l’échec, là je vais retrouver toutes mes angoisses. Donc non. Je ne suis pas assez forte pour ça. Ma chance aujourd’hui est d’en avoir pleinement conscience.

Y a-t-il eu, au cours de ton voyage, des rencontres ou des événements qui ont agi comme des déclics dans ton cheminement vers le bonheur ?

Le premier vrai déclic a eu lieu au Costa Rica, quand une femme que j’ai rencontrée dans le bus m’a dit « Pourquoi tu dors à l’hôtel ? Viens à la maison ! ». J’étais pas hyper rassurée, pour moi c’était un risque, parce que c’était le début du voyage. Mais je l’ai pris, ce risque. Je me suis retrouvée au beau milieu d’une favela ; cette nana qui n’avait rien du tout, que j’avais rencontrée quelques minutes plus tôt dans un bus, m’a tout donné, m’a ouvert sa maison, m’a installée comme si j’étais une princesse. Elle m’a monté un lit de fortune, les murs c’était de la tôle, c’était ultra humide, mais c’était propre, c’était accueillant, c’était chaleureux. Ca m’a foutu une énorme claque. Je suis redescendue illico de mon univers de petite princesse trop gâtée.

Ensuite, d’un point de vue spirituel et politique, il y a eu ma rencontre avec un garçon, en Amazonie. Je l’ai suivi sans trop le connaître. On s’est retrouvés seuls en pleine Amazonie, à 400 km de la première route. Il m’a retourné le cerveau (dans le bon sens du terme !) en m’expliquant l’impact que nos vies modernes avaient sur les animaux et la planète. C’est difficile d’expliquer ce qu’on ressent au beau milieu de l’Amazonie, c’est une nature pure, c’est réellement le coeur de la planète, on y sent la vie ; je ne sais pas si j’ai un peu déliré là-bas, mais je sentais quelque chose de supérieur. J’étais minuscule. Ça a clairement mis de côté mon égo, et c’est là que j’ai pris conscience qu’il y avait sans doute quelque chose de plus grand. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en la Pachamama.

Ana bien entourée, au Mercado El Alto de La Paz, en Bolivie
En Bolivie

Il y a eu une troisième rencontre, celle d’un jeune Indonésien de 23 ans. Toxicomane, il a commencé à prendre de la méthamphétamine pour tenir la cadence sur l’île de Gili Trawangan, pour pouvoir servir tous les touristes, afin de gagner de l’argent pour envoyer ses deux petits frères à l’école. Il essaye d’avoir son visa pour l’Australie mais c’est super compliqué ; quand tu vois que nous, Français, il nous suffit juste de payer 400$… Lui n’est pas né avec le bon passeport. C’est une vraie injustice. Avec lui, j’ai aussi découvert l’islam, un islam tolérant, chaleureux ; alors quand je vois ce qui circule sur les réseaux sociaux, quand je vois à quel point les gens en ont peur en France ou en Europe, ça fait mal au coeur. J’ai définitivement un autre regard sur le monde.

Ana en Amazonie bolivienne, quelque part aux alentours de Rurrenabaque
Ana en Amazonie bolivienne, quelque part aux alentours de Rurrenabaque

Mise à jour – Octobre 2023 : Ana est devenue photographe et vit désormais en France. Son blog de voyage n’existe plus, mais voici son site professionnel : www.ana-ki.com.

Ce contenu a été vérifié et mis à jour le 31 octobre 2023.

9 commentaires

  1. J ai beaucoup aimé la couleur et le poids des mots , le monde ne serait pas le même si tous les trentenaires vivaient la même experience . Prochain départ a 50 ans ?
    Patrick

  2. Je viens de découvrir la page. Son ouverture sur le monde est intéressante, merci pour le témoignage, il n’est pas long mais instructif

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